Transparition 3 : I’ve heard a story

Publié par cinemaesthetique2020 le

Transparition 3 : I've heard a story from the Bering Straight

À propos du film de Carlos Casas : Hunters since the beginning of time (Chukotka, Siberia, 2008)

Film disponible librement sur vimeo : https://vimeo.com/14152631 

Nous sommes les êtres d’un passage. Ce qui passe en nous demeure invisible, jusqu’à ce qu’une image, une sensation, ou une histoire lui procure un corps temporaire. Des chasseurs de phoque sur une banquise attendent perdus dans une immensité profonde et blanche. Brièvement une tête de phoque fait surface, le chasseur tire, un autre récupère le corps flottant à la surface avec une petite barque, et hisse la proie sur la banquise. Brève apparition de ce qui passe en nous. La caméra attend toujours plus patiemment que tout le reste. Trajets en traineaux, en barques à moteur, attentes et observations. Le matin, l’homme prend son fils sur les épaules et lui dit, “regarde, regarde la mer”. Il lui donne les jumelles et la caméra derrière regarde, elle regarde la mer qui est regardée par une longue silhouette sombre en contre-jour. Saurai-je transmettre à mon fils les choses que j’aime et que je connais ? se demande l’homme. 

La caméra regarde des fragments de ce monde. Morceaux de chair de poissons cuisinés, morceaux de gestes, morceaux de mer et d’histoires. La chasse à la baleine reste une chasse très importante pour la communauté et un rite de passage pour les plus jeunes. Longtemps les chasseurs observent d’abord la mer depuis le point de vue. Des jets ponctuent de temps à autre une surface étincelante. La caméra observe longtemps les baleines qui sont observées par les hommes. Sur le bateau on piste les grands mammifères marins et on s’approche au plus près pour plonger le harpon. Le bateau doit s’approcher suffisamment près, mais pas trop, et se dégager très vite après le coup porté. Les chasseurs dansent sur une surface étincelante et la caméra s’approche mais pas trop. 

À la fin de la chasse, dont nous voyons l’image ci-dessus, on découpe la baleine sur la plage et son immense corps est partagé entièrement entre toutes et tous. Quelque part dans ces gestes apparaît une autre immensité, celle d’une autre filiation, d’une autre manière de raconter le monde, de le voir, de le sentir, d’être en relation avec. “J’ai entendu une histoire qui dit que nous venons toutes et tous d’une mère baleine.” La baleine est l’ancêtre commune des habitants du détroit de Bering. Quand on la chasse, on chasse un membre de la famille dont on dépend pour survivre. Les histoires permettent de réguler ces échanges. Les baleines enfantent des humains et les femmes enfantent des baleineaux, on épouse des baleines et on tue des baleines. Avant la scène de chasse on parle beaucoup de la chasse, on voit la préparation et la consommation de la viande de baleine, on voit les hommes qui voient les baleines. Nous sommes les êtres d’un passage, silhouettes noires sur fond d’étincelles.  Sur le détroit de Bering, lieu de passage des hominidés avant la fin de la dernière période glaciaire il y a environ 13000 ans, un homme se demande s’il saura encore donner à son fils l’envie de vivre ici.

Combien de temps faut-il pour une transparition ? Apparaître à travers un autre. À travers une caméra des hommes apparaissent à travers des baleines. Silhouettes noires sur fond d’étincelles. 

Ce qui passe en nous demeure invisible jusqu’à ce que devant nous un film s’en fasse le réservoir temporaire. Le temps qu’il faut prendre pour voir une transparition ; le temps qu’un monde devienne un passage. 

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