Transparition 2: Luminous Wakes

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Dolphins in Phosphorescent Sea - M. C. Escher, 1923

Transparition 2 : à propos de sillages lumineux

En 2016 David Attenborough se retrouve embarqué la nuit, sur terre et sur mer, à la recherche des animaux lumineux (Life that Glows, Loncraine, Dohrn 2016 – Ammonite Films, BBC). Plongé dans l’obscurité, on voit l’animateur star des documentaires animaliers chercher la caméra du regard, avec pour seuls repères quelques lucioles ou un mille-pattes bioluminescent.  

Au sein du dispositif optique particulièrement voyeuriste du documentaire animalier, ces plans où l’humain n’y voit plus rien et où d’autres animaux s’activent à luminescer – et donc à apparaître à leur manière – ont de quoi retenir notre attention. Puisque traditionnellement, et ce depuis les premiers grands safaris de chasse filmés, l’animal du documentaire animalier est d’abord un corps-disponible-au-regard (et j’ai envie de dire à l’appétit) humain, un animal qui joue à apparaître et disparaître du champ du visible semble contrevenir aux conditions de possibilités même du dispositif. Certes ces êtres sont saisis dans leurs besognes nocturnes quotidiennes : qui cherche le compagnon ou la compagne, qui cherche le pain, qui cherche à fuir le consommateur, etc. Mais à partir du moment où l’animal n’est plus cette évidence disponible à la vue et à la capture, à partir du moment où cet être se loge à l’interstice de sa visibilité, que devient le dispositif qui le capte ? Dans ce jeu de compagnonages nocturnes, la caméra est-elle une espèce compagne, celle qui partage le pain de lumière, ou au contraire une espèce prédatrice ?

Des dauphins jouent dans un nuage de planctons bioluminescents, des dinoflagellés. L’équipe filme le spectacle, tandis que leur propre bateau crée un sillage bioluminescent dans le même champ de zooplanctons. Pour qu’un dinoflagellé s’expriment lumineusement, il faut une stimulation mécanique, comme le passage d’un corps de dauphin, d’un bateau ou d’un·e plongeur·euse. Ici les dauphins ne sont visibles qu’à la faveur de leur jeu avec la lumière des autres : la photo-génie des dinoflagellés et la photosensibilité de la caméra Sony A7S-II. Soudain, leurs manières d’entailler la nuit évoquent de nouveaux imaginaires photosophiques. Et si David Attenborough n’était visible que par son jeu avec d’autres êtres lumineux, laissant par devant et par derrière lui une série de sillages que la caméra n’est peut-être pas la seule à capter ? Et si nous étions toutes et tous dans des sillages de lumière produite par d’autres ? Nous apparaitrions toujours à travers des autres, dans des sortes de compagnonages photolyriques. 

Rohr et al., 1998

Des scientifiques visualisent les sillages de certains poissons et mammifères marins grâce à leurs tracés lumineux lorqu’ils passent à travers des colonies de planctons, permettant ainsi de mesurer leur hydrodynamique. Pourrait-on envisager de mesurer l’ontodynamique d’un vivant dans ses rapports aux corps lumineux qui l’entourent ? Ontodynamique : la friction existentielle qui s’exerce entre un corps et son milieu. Le cinéma n’est-il pas le plus à même de rendre compte de ces frictions permanentes, mais visibles qu’à la faveur d’une transparition occasionnelle ? Pour qui sommes-nous des compagnons et compagnes de lumière, et pour qui sommes nous des prédateurs de lumière ? Ontodynamique des sillages lumineux. À suivre. 

jb

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