Biomedialuminescence : Vers une écologie de l’apparition.

Vers une écologie de l’apparition : biomedialuminescence

Ma recherche s’est construite autour d’une rencontre lumineuse. L’humain·e se confrontait à la bioluminescence, avec les enjeux techniques, esthétiques, épistémologiques et ontologiques charriés par cette luminosité mineure. C’est l’histoire des films de James Cameron, depuis ABYSS (1989) jusqu’à AVATAR (2009), en passant par ses documentaires sous-marins. C’est l’histoire contemporaine de la mise en images mouvantes de l’océan (de la recherche scientifique aux documentaires animaliers). C’est aussi l’histoire de la genèse du cinéma en tant qu’art de la lumière, puisqu’en 1900, lors de l’Exposition Universelle de Paris, le cinéma, l’électricité et la bioluminescence se côtoient comme autant de curiosités qui construiront le devenir humain. Il s’est avéré pour moi que la bioluminescence constituait un véritable contre- éclairage au cinéma, et qu’à travers ce contre-éclairage, il devenait possible de construire une théorie biomedialuminescente du cinéma qui s’intéresse moins à son histoire qu’à sa phylogenèse. Le cinéma peut se penser à l’échelle de l’évolution du vivant en ce qu’il constitue une forme d’expression lumineuse qui dialogue avec celles qui se manifestent partout dans le monde vivant. Ma question est alors : que reste-t-il de l’héritage bioluminescent dans l’ontogenèse des images mouvantes contemporaines ?

Je reviens à l’intuition de l’historien et théoricien des media Vilém Flusser exprimée dans un étrange traité daté de 1987, Vampyroteuthis Infernalis. Dans cette proposition mi-scientifique, mi-spéculative, le céphalopode abyssal Vampyroteuthis Infernalis, incarne selon Flusser une perspective symétriquement opposée à la nôtre, permettant ainsi de nous voir depuis la perspective d’un autre. En particulier, la bioluminescence du Vampyroteuthis constitue pour le théoricien des media un contre-dispositif puissant afin de lire notre propre existence médiatique.

« Ainsi, en niant notre condition biologique du point de vue opposé, nous nous entre-contredisons, et c’est justement là que nous correspondons. Chacun tend à l’autre le reflet de ce qu’il a nié. C’est en ce sens quelque peu diabolique (diabolein = embrouiller) que nous pouvons nous reconnaître mutuellement et nous retrouver en l’autre. »
Flusser 1987

Epstein, un des premiers épistémologues mystiques, ou lyrosophe, de la lumière, voyait bien dans le cinéma une perspective du diable. Or dans mon travail il s’agit en effet d’adopter des perspectives radicalement autre-qu’humaines afin précisément de penser ce nœud complexe entre lumière et lumière qui se joue dans la figure lumineuse au cinéma. Dans ma thèse j’ai construit des notions telles que l’écologie figurative et l’éthologie figurale afin de penser la figure lumineuse à l’intersection de l’esthétique et de la biologie. Je visais à démontrer la puissance heuristique que l’on pouvait tirer à partir de l’analogie entre figurabilité et morphogenèse, tant pour penser les images que pour penser le vivant.

Mon objectif est bien de proposer un champ de recherche en esthétique qui permettra de penser les images autant que le vivant. Les crises sanitaire et écologique contemporaines montrent à quel point notre avenir anthropologique est lié à notre capacité à capter le monde et les autres-qu’humain·e·s qui le peuplent comme autant de motifs, de figures et de signes (des virtualités à fort potentiel déterritorialisant) avec lesquels il nous faut composer. Cette composition, ou anthropocosmorphisme, est l’occasion d’enrichir notre expérience du monde, autrement dit, de penser l’esthétique véritablement au présent, avec tou·te·s les autres autres qui habitent le monde.