Tatouages au cinéma









En tant que pratique artistique à part entière, le tatouage a connu une longue existence au travers des millénaires, depuis la période pré-antique, avant de voir son parcours rencontrer celui du septième art. Longtemps ignoré des civilisations occidentales, le tatouage s’y est ensuite très progressivement installé comme mode d’expression personnel ou matériau esthétisant, d’abord privilégié par certaines communautés plus ou moins à la marge – ce qui lui vaut d’être perçu comme clivant – avant de se populariser à partir de la deuxième moitié du 20ème siècle. Parmi les formes visuelles susceptibles de le prendre en charge pour en exploiter les valeurs propres, le cinéma s’avère en effet jouer un rôle de prime importance. Sans modifier le corps de l’acteur/personnage, le tatouage filmé exploite sa peau comme support de représentation pour ensuite opérer un trajet dynamique jusqu’à son exhibition devant les spectateurs. Ornement faussement anecdotique, détail figuratif ou représentatif, élément dramaturgique, le motif charnellement encré assume tour à tour ces différentes fonctions d’un film sur l’autre. Il devient un lieu exclusif à traiter, se mettant donc en jeu même si le spectateur n’arrive pas toujours à aller au bout de sa quête : saisir la signification véritable – parfois enfouie, parfois ambivalente, parfois indécidable – du dessin tégumentaire par rapport à son porteur.
Si le tatouage au cinéma est généralement considéré comme l’extrait d’une totalité, reste à savoir de quelle globalité il découle. Est-il la fraction locale d’une intégralité cutanée, le fragment spécifique d’un ensemble corporel ou la trace figurative d’une entièreté plus abstraite (vécu, mémoire, psyché ou imaginaire d’un personnage) ? De là pourraient se dégager deux axes analytiques : d’une part, le tatouage pour ce qu’il vaut concrètement (le motif représenté, sa matérialité et ses caractéristiques : forme, dimensions, couleurs) ; d’autre part, le tatouage pour ce qu’il travaille clandestinement (sa symbolique, sa part affective).
Par ailleurs, quelles propriétés le cinéma confère-t-il au tatouage filmé ? Son apparition fait souvent l’objet d’une préparation scénique, en un dévoilement progressif ou en un acte d’encrage lui-même montré à l’écran. Le tatouage ne se contente pas de faire effraction : il est pris dans un parcours figuratif qui le conduit vers la visibilité. Filmer ostensiblement un tatouage ne s’improvise jamais (et même dans le documentaire), surtout quand on veut lui attribuer une fonction iconique. Puisque le tatouage a presque toujours un thème, son apparition cinématographique renvoie souvent au genre auquel le film appartient, caractéristique déterminante dans une plus large expérience esthétique.
Sur la base des éclairages et cadrages qu’il impose, des raccords et des transitions qu’il engage ainsi que son étalement dans le temps du film ou sa mise en mouvement, le tatouage filmé peut-il se transformer en tatouage (spécifiquement) cinématographique ?
Cette interrogation est encore plus valable pour les tatouages qui, par effet hallucinatoire ou surnaturel, s’animent d’eux-mêmes, s’affranchissant de leur lieu d’implantation initial (la peau humaine) pour se déployer plus largement sur la surface cutanée des protagonistes et, parfois, se tridimensionnaliser. Ces tatouages cinématographiques dépassent leur fonction décorative, se transformant en matière mouvante et vibrante, voire même en espaces d’imag(inaire)es. Il ne s’agit plus pour eux d’incarner le réel mais de se doter de véritables propriétés fictives par le biais du langage filmique.
Louis DAUBRESSE